Janvier 2000
Le projet de loi « tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux » s’inscrit dans un contexte sociologique, philosophique, politique et institutionnel qu’il importe de rappeler, fût-ce brièvement, pour dégager toute la force, la valeur et la symbolique de la législation à venir.
Ce texte a été conçu pour faire évoluer rapidement et de manière irréversible la situation des femmes dans la vie politique française. Situation caractérisée par leur exclusion en raison de la prééminence des hommes sur les mandats électoraux, des réticences ou de la misogynie des partis politiques et parfois du manque de détermination des femmes elles-mêmes.
Les propositions de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes sont de trois types. Les premières portent sur le contenu du projet de loi3, les deuxièmes sont considérées comme des mesures d’accompagnement de ce même projet, les troisièmes -enfin- s’inscrivent à moyen et long terme dans une réflexion plus générale sur le fonctionnement des institutions politiques.
L’Observatoire de la parité réaffirme sa détermination à considérer que l’application de la parité concerne les candidatures autant que les élus. Il souhaite donc que la place respective des candidats et des candidates soit précisée dans le texte de loi, afin d’éviter les écueils rencontrés en Belgique par exemple (cf note p.16).
Idéalement, seul le respect de la stricte alternance du début à la fin d’une liste (une femme/un homme ou un homme/une femme) permet de garantir aux candidates les mêmes chances d’êtres élues que leurs homologues masculins.
Aussi l’Observatoire souhaite-t-il que la parité alternée soit imposée pour deux des scrutins de listes : les élections européennes et les élections sénatoriales à la proportionnelle qui ont en commun de se dérouler à un seul tour. L’expérience justifie cette obligation de résultats. En effet, en juin 1999, lors de la précédente élection au Parlement européen, la majorité des partis politiques avaient respecté la parité alternée. Il ne saurait donc être question que la loi entérine un retour en arrière en faisant peser une contrainte moindre sur les partis politiques.
Le respect de la stricte alternance devient le critère d’enregistrement d’une liste pour les élections sénatoriales à la proportionnelle et les élections européennes.
S’agissant des élections municipales, régionales et de l’élection à la Collectivité territoriale de
Corse, l’Observatoire admet, dans un souci de réalisme politique, la nécessité de déroger au principe de stricte alternance auquel il est très attaché. En effet, ces élections se déroulent à deux tours et donnent lieu, entre ces deux tours, à des fusions et recompositions de listes où sont pris en compte de nombreux critères (politiques, territoriaux..). Imposer le respect d’un critère supplémentaire compliquerait la tâche de ceux qui ont à établir les listes. Le pragmatisme politique et la volonté de laisser plus de liberté aux formations politiques et aux têtes de liste incitent à proposer un dispositif plus souple offrant néanmoins des garanties de résultats. Il s’agit d’atteindre la parité en termes d’élus « sans crispation ».
Actuellement, sans aucune contrainte pesant sur les partis, les femmes représentent en moyenne 22% des conseillers municipaux (environ 25% dans les communes de plus de 3.500 habitants). Afin que cette proportion varie sensiblement et atteigne au moins 40%, il faut - d’après les estimations arithmétiques dont nous disposons- que la parité soit imposée par tranche de six candidats. Avec une telle contrainte, les conseils municipaux seraient composés –selon la taille de la commune- de 44% à 49% de femmes. Les propositions visant au respect de la parité par tranche de dix candidats n’améliorent pas suffisamment la situation actuelle pour être retenues.
Compte tenu du mode de répartition des sièges pour les élections municipales, imposer la présence de femmes dans les premières places offre des garanties à l’opposition municipale d’avoir des élues. Ainsi, lorsque vient le moment de l’alternance, ces femmes peuvent prétendre à être en bonne position pour assumer des responsabilités. Rarement évoqué, ce fait est pourtant fondamental pour justifier que soit précisée la place des candidats.
Enfin, assurer la présence de femmes en début de la liste pourrait entraîner une dynamique – certes non mécanique- en favorisant l’accès des femmes aux exécutifs. Alors qu’imposer par la loi la parité dans les exécutifs méconnaîtrait l’importance de l’action politique, de la responsabilité des partis, groupements politiques et responsables de listes. Cela ne permettrait pas aux forces politiques de s’affirmer en tant que forces de progrès. En outre, cela ne valoriserait pas la détermination des femmes.
La proposition de l’Observatoire est la suivante : le texte de loi devra prévoir que pour les élections municipales, régionales et concernant la Collectivité territoriale de Corse, la parité soit respectée et vérifiée tous les six candidats.
L’objet de cette proposition est de remédier à la situation d’exclusion du champ de la loi des communes de moins de 3.500 habitants. L’Observatoire de la parité est cependant convaincu que cette situation n’est pas le fruit d’une volonté gouvernementale, compte tenu de toutes les preuves qui ont été données en matière de mise en œuvre de la parité.
Rappelons que c’est dans les communes rurales que l’on compte déjà proportionnellement le plus de femmes maires (8%).
L’Observatoire de la parité a procédé à un minutieux travail d’expertise sur le sujet. Dans les communes rurales, il faut distinguer celles qui ont moins de 2.500 habitants et celles qui ont de 2.500 et 3.499 habitants (un peu moins d’un millier selon le dernier recensement national).
S’agissant des premières, la spécificité du mode de scrutin en vigueur (non-dépôt obligatoire des candidatures et candidatures isolées autorisées, bulletins qui peuvent être incomplets) interdit toute application de la loi. Le fait que les candidatures isolées soient autorisées signifie que toutes celles qui souhaitent briguer un mandat peuvent le faire.
La situation est plus délicate dans les communes de 2.500 à 3.499 habitants : dans cette tranche, le dépôt des listes n’est toujours pas obligatoire, mais quand la liste est déposée elle doit être complète. Aussi l’application de la parité ne peut-elle être imposée dans les mêmes conditions que pour les communes de 3.500 habitants et plus.
Deux solutions existent pour que ces communes soient concernées par le projet paritaire :
. La première consisterait à modifier leur mode de scrutin et à leur appliquer celui en vigueur dans les communes de 3.500 habitants et plus, à savoir un scrutin de liste majoritaire. Cette proposition ne soulève aucun obstacle juridique. En revanche, elle se heurte à d’autres difficultés. La première étant l’attachement –réel ou mythique- des électeurs de ces petites communes à leur mode de scrutin (panachage..). La deuxième renvoie à l’engagement du
Premier ministre, lors de la révision constitutionnelle, de ne pas modifier –à l’occasion de la loi sur la parité- les modes de scrutin.
A défaut de voir cette précédente proposition retenue, l’Observatoire de la parité suggère que le législateur rende obligatoire le dépôt des listes en préfecture pour les communes de 2.500 à
3.499habitants et donc leur contrôle a priori. Dans ces conditions, il devient possible de leur appliquer l’exigence de la parité. Ces listes devront donc respecter la parité par tranche de six candidats comme dans les communes de taille supérieure. A défaut de remplir ce critère, ces listes ne pourront être enregistrées. Cette mesure d’extension du système de la déclaration constitue un bon compromis entre la volonté de mettre en œuvre la parité dans le plus grand nombre possible de communes et le respect des prérogatives des électeurs des communes de
2.500à 3.499 habitants.
L’exclusion du champ de la loi des structures intercommunales suscite de nombreux regrets.
Mais force est d’admettre que, pour l’heure, les moyens juridiques font défaut pour imposer la parité dans ces assemblées. Les conclusions de l’Observatoire de la parité rejoignent celles des services de l’Etat en charge du texte de loi. Dans le cadre actuel du mode de désignation des délégués aux structures intercommunales, il n’est pas possible de contraindre à l’égale représentation entre les femmes et les hommes.
S’agissant de ce scrutin, la déception qu’inspire sa non prise en compte par le texte de loi est d’autant plus grande que les assemblées départementales sont les plus rétives à la féminisation. Leur imposer la parité eut été un vecteur de bouleversement très symbolique.
Pourtant, après moult expertises, il appert qu’aucune proposition réaliste n’est envisageable dans le cadre actuel du mode de scrutin uninominal et des dispositions relatives au financement des campagnes électorales.
Le dispositif prévu dans le projet de loi suscite une grande satisfaction dans les rangs de l’Observatoire de la parité. Le principe de sanction est jugé préférable à celui d’incitation.
Préférable en termes moraux et d’efficacité. Il est d’ailleurs préfiguré dans l’article 4 de la Constitution : « les partis et groupements politiques contribuent à la mise en œuvre de ce principe dans les conditions déterminées par la loi ». Il reviendra ensuite aux partis politiques de faire en sorte que l’imposition législative de la parité au niveau des candidatures se traduise par une plus juste représentation des femmes et des hommes parmi leurs élus.
Pour les scrutins de listes, le projet de loi prévoit de recueillir, au moment de la déclaration de candidatures, le sexe des candidats. Jusqu’alors seuls les noms, prénoms, dates et lieux de naissance étaient demandés. Cette disposition s’explique par la nécessité de contrôler a priori le respect de la parité en vue de l’enregistrement des listes.
En revanche, le projet de loi n’a pas prévu de recueillir le sexe des candidats à la députation.
La responsabilité revient aux partis politiques de déclarer a posteriori le sexe de leurs candidats en vue d’obtenir les financements publics.
Il est pourtant dommageable que les pouvoirs publics ne puissent disposer d’un matériau sexué complet en matière électorale.
L’Observatoire de la parité propose donc que le sexe des candidats aux élections législatives soit recueilli lors de la déclaration de candidatures. Cette mesure suppose la rédaction d’un article additionnel au projet de loi.
Vu l’enjeu de cette loi, les bouleversements qu’elle va induire, les situations nouvelles auxquelles elle va donner jour, les obstacles qu’elle rencontrera, il paraît indispensable de prévoir, dans le texte de loi lui-même, la mise en place d’une « Mission d’évaluation » de cette politique publique. Cette mission d’évaluation pourrait être confiée à l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes.
Au-delà de l’enrichissement du texte lui-même, les membres de l’Observatoire de la parité ont jugé important de préconiser quelques mesures d’accompagnement du dispositif législatif.
Le fait qu’à l’heure actuelle aucune solution n’existe pour intégrer les élections cantonales dans le projet de loi suscite beaucoup de regrets. Les conseils généraux, bastions masculins par excellence, seraient donc voués à l’immobilisme. Pour autant, la réflexion doit se poursuivre. Il faut étudier dans quelle mesure les élections cantonales pourraient être intégrées dans le calcul du financement de la vie publique (en résolvant l’une des principales difficultés à savoir que 40% des conseillers généraux ne sont pas affiliés à une formation politique).
La dynamique paritaire impulsée par la nouvelle législation nécessite sur le long terme des soutiens constants. Les obstacles culturels à la difficile insertion des femmes dans la vie politique ne seront pas levés par la seule loi.
Les pouvoirs publics doivent être les acteurs de ce soutien. Une campagne institutionnelle de communication et de sensibilisation à la culture paritaire s’impose. Mais il faudrait aller au-delà du « simple » enjeu paritaire. L’enrichissement de la vie démocratique, l’engagement multiforme des citoyens doivent être soutenus.
Dans un premier temps, le financement de ces campagnes institutionnelles pourrait être assuré par une partie des fonds retirés aux formations politiques qui n’ont pas respecté la loi et les 50% de candidatures féminines. Dans un deuxième temps, dans l’hypothèse où il n’y aura plus de pénalisation financière, il faudra néanmoins prévoir des budgets à consacrer à ces campagnes en faveur de la citoyenneté.
L’Observatoire de la parité préconise à l’adresse des partis politiques des mesures qui témoigneront de leur volonté de voir s’appliquer le principe de parité, car la loi a ses limites (juridiques, constitutionnelles et politiques). Les formations politiques sont encouragées à se montrer volontaristes en matière de parité : respecter le principe d’alternance intégrale le plus souvent possible, placer le maximum de femmes, autant que faire se peut, en tête des listes électorales, déléguer les femmes dans les structures intercommunales, se montrer vigilants lors de la désignation des candidats pour les élections cantonales (en réservant par exemple des cantons aux femmes).
Le débat sur la parité et sur sa mise en œuvre a suscité parmi les membres de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, et après les nombreuses auditions qu’il a conduites, un certain nombre de réflexions et d’attentes allant dans le sens d’une modernisation des institutions politiques et d’une évolution des conditions d’exercice des mandats politiques. Parité et modernisation de la vie politique vont de pair. La réalisation de celle-ci garantit l’effectivité de celle-là.
Pratique spécifique à la vie politique française, le cumul des mandats constitue une entrave à la modernisation du système démocratique. De l’avis général, la limitation du cumul des mandats contribuerait à l’instauration de la parité, quand bien même elle ne saurait en être la condition suffisante. La réforme de la loi de 1985, issue de cette année de travail parlementaire et au vu des modifications émanant du Sénat, ne répond pas à toutes les attentes.
Cette réforme en demi-teinte doit très vite en appeler une autre plus ambitieuse. Couplée avec une réflexion sur le statut de l’élu, la réforme du cumul des mandats aura plus de chances d’aboutir. Dans une volonté de changement et d’évolution, il serait erroné de dissocier ces deux sujets tant ils sont intimement liés.
L’Observatoire de la parité insiste sur l’urgence à élaborer un nouveau statut de l’élu.
Améliorer les conditions d’exercice des mandats électifs est le gage d’un meilleur fonctionnement des institutions en établissant une relation claire, transparente de synergie avec les citoyens. L’Observatoire de la parité est toutefois conscient des implications financières d’un tel projet, dans un contexte où les citoyens désertent les bureaux de vote et expriment un certain scepticisme à l’égard de leurs représentants.
L’Observatoire de la parité s’est interrogé sur les possibilités de mise en œuvre de la parité dans les structures intercommunales à fiscalité propre. La tâche est ardue, mais l’enjeu est d’importance. Les pouvoirs et moyens de ce nouvel échelon politico-administratif iront en croissant. Il s’agit donc de lieux décisionnels que les femmes doivent investir, au risque de voir se déplacer les frontières des inégalités (aux femmes la commune, aux hommes l’intercommunalité !).
Actuellement, le mode de désignation des délégués aux structures intercommunales n’est pas favorable aux femmes. Cela constitue un argument supplémentaire en faveur d’une évolution de ce mode de désignation.
Il y a un an, le scrutin régional a été modifié. Dans quelques mois, les parlementaires examineront un texte de loi concernant les élections sénatoriales. Il prévoit l’augmentation du nombre de départements dans lesquels les sénateurs seront élus à la proportionnelle. Le débat politique sur les différents modes de scrutin n’est donc pas clôt.
La réflexion suggérée ci-dessus aurait tout lieu d’être s’agissant de la pertinence de l’actuel mode de scrutin pour les élections municipales en milieu rural. Les seuils de 2.500 et 3.500 habitants, la pratique du panachage sont-ils toujours adaptés à la réalité sociologique de ces communes ? A quel niveau de population le mode de relation entre les élus et les électeurs change-t-il ? Voilà quelques-unes des questions à se poser et à inscrire au cœur d’une réflexion sociologique sur le monde rural.