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Actualités

Pénurie de médicaments : un risque d’atteinte aux droits sexuels et reproductifs des femmes

27 mai 2020

La crise Covid-19 a montré à quel point l’autonomie nationale, voire européenne, pour les médicaments était importante. Des médicaments, indispensables aux traitements des patient.es, ont été en rupture, mettant en jeu leur vie. Cette pénurie touche tout particulièrement les hormones féminines, mettant en péril la santé sexuelle des femmes et la maîtrise de leur fécondité.

Cette crise de pénurie de médicaments est ancienne et profonde et les chiffres ne cessent de progresser. « Les chiffres sur les pénuries de médicaments qui ont été communiqués par la plupart des pays de l’UE font état d’augmentations exponentielles. Ainsi, en France, 1 450 cas d’indisponibilité de médicaments ont été constatés en 2019, contre 868 en 2018, à comparer aux 44 cas de 2008 (Alliance européenne de santé publique (EPHA) 2020). Dans une étude de l’institut BVA de décembre 2018, un.e Français.e sur quatre (25%) a déjà manqué d’un médicament ou d’un vaccin pour cause de pénurie.

Les causes de ces ruptures de commercialisation sont essentiellement liées aux délocalisations dans les pays à bas coût de main d’œuvre et à faible respect des normes environnementales, à des mises en concurrence entre entreprises de production et à des mesures d’économie décidées par les Etats. Entre 60 et 80% des médicaments, commercialisés en France et en Europe, sont fabriqués en Inde et en Chine.

Les conséquences en sont triples :
• des problèmes de fabrication liés à l’indisponibilité de matières premières, au non-respect des bonnes pratiques de fabrication entraînant des rappels de médicaments, à des catastrophes imprévues interrompant la production ou l’approvisionnement de certains produits, ou encore à l’inefficacité des moyens logistiques ;
• des décisions commerciales du titulaire de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) sans lien avec l’intérêt sanitaire mais inspirées par des considérations économiques comme le manque de bénéfice en raison d’une insuffisance de produits vendus. Cela peut entraîner l’abandon d’un marché national, la cessation complète de la production d’un produit particulier ou la fermeture d’un site de fabrication, rendant impossible d’affronter une hausse imprévue de la demande et
de se livrer à une bonne estimation des besoins ;
• des risques importants sur la santé en termes de rupture de traitement, d’absence de vaccination ou encore d’achats de produits présentant des vices ou défauts de qualité (sur Internet, notamment.

La pénurie touche tous les domaines : vaccins, antibiotiques, antihypertenseurs, anticancéreux et les hormones féminines de synthèse.


Concernant la santé sexuelle des femmes et la maîtrise de leur fécondité, cette crise est ancienne et les hormones féminines ont connu, dans les dernières années, des interruptions de production et de commercialisation très fréquentes :

  • pendant au moins six mois des contraceptifs œstro-progestatifs ont été en rupture de commercialisation tels que les pilules Minidril, Adépal, Trinordiol, très fréquemment prescrites. Durant cette période, un certain nombre de femmes n’ont pas pu avoir accès à des contraceptifs, avec des risques de grossesses non désirées ou des avortements ;
  • Les œstrogènes locaux n’ont plus été accessibles pendant un an et certains sont encore en rupture de fabrication ;
  • Les progestatifs sont très souvent non commercialisés alors qu’ils sont utilisés pour la contraception et le traitement des troubles de la préménopause.

En ce qui concerne les deux médicaments utilisés pour les avortements médicamenteux, le Mifépristone (« Mifégyne ») et le Misoprostol (« Cytotec »), ils ont connu des destins liés à des problèmes économiques, renforcés par des interventions importantes des mouvements anti-IVG.

Concernant le Mifégyne :

La découverte des propriétés abortives du RU486, « Mifégyne », produit des laboratoires Roussel-Uclaf, est réalisée en 1982 par Etienne-Émile Baulieu qui signe un accord avec l’OMS, en 1983, pour pouvoir utiliser mondialement cette molécule comme abortif. En France malgré d’importantes actions des mouvements anti-avortement, elle est commercialisée en 1988 grâce à une injonction du ministre de la santé, Claude Evin, et elle sera associée, en 1991, avec le Misoprostol ou « Cyto-
tec » pour une meilleure efficacité.

En 1997, après le rachat de Roussel-Uclaf par les laboratoires Hoechst, le combat des opposant.es à l’avortement a connu aux Etats-Unis des niveaux rarement atteints. Des médecins ont été assassiné.es, et la majorité des cliniques, les cliniques privées en premier lieu, ont renoncé à pratiquer l’IVG. Le puissant groupe pharmaceutique Hoechst Roussel (devenu Aventis depuis son rapprochement avec Rhône-Poulenc), menacé d’un boycott de ses produits, avait ainsi, dès 1994, renoncé à commercialiser aux Etats-Unis la pilule abortive RU 486 avant d’abandonner totalement ce produit, suite aux pressions des groupes anti-avortement en Allemagne et surtout aux Etats -Unis. La molécule est cédée gratuitement au laboratoire Exelgyn, dirigé par le codécouvreur de la molécule, Edouard Sakis, en 2000. En 2010, après sa mort, le laboratoire Exelgyn est racheté par Nordic Pharma, filiale de Nordic Groupe.


Concernant le Misoprostol :
Le Misoprostol, médicament associé à la Mifégyne pour pratiquer les IVG médicamenteuses, a connu une aventure similaire : médicament de la famille des prostaglandines, initialement utilisé dans le traitement des ulcères d’estomac, il a été commercialisé, dès 1986, par le laboratoire américain Pfizer mais il a été constaté que le Cytotec avait été retiré du marché à partir du moment où l’utilisation du produit ne servait plus qu’en majorité à l’IVG. Actuellement une présentation destinée exclusivement à l’IVG, dix fois plus chère, est commercialisée par Nordic Pharma.
Ainsi, la production des médicaments utilisés pour les IVG médicamenteuses est dans les mains d’un seul producteur, le groupe Nordic Pharma, avec des risques de rupture de production et d’approvisionnement et de pression sur les prix.

 

Le HCE tient à souligner l’importance pour les pouvoirs publics de s’organiser pour mieux contrôler et gérer la production et la commercialisation des médicaments nécessaires pour assurer la santé sexuelle des femmes et la maîtrise de leur fécondité. La loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2020) a introduit l’obligation de disposer d’un stock de sécurité de médicaments de quatre mois, disponible sur le territoire européen. Mais ces dispositions ne seront effectives qu’à partir du
30 juin 2020 et devront faire l’objet d’une grande vigilance.


Le HCE recommande aux pouvoirs publics d’exercer un vrai contrôle sur ces produits, d’avoir des stocks d’au moins quatre mois pour les produits indispensables, de relocaliser la fabrication en Europe et en France et de garantir la production des médicaments non rentables en les nationalisant.

Pour les droits des femmes, il est important que les pouvoirs publics assurent que l’ensemble des produits et médicaments, nécessaires à la contraception et à l’avortement, soient constamment disponibles.