La période de confinement que nous
connaissons aujourd’hui, liée à une crise sanitaire de grande ampleur,
constitue un temps tragique de notre histoire. Nos schémas de pensée, de
consommation, de styles de vie et plus largement nos relations avec la
nature et nos innovations technologiques devront être totalement
repensées, après cette tragédie.
Mais, alors même que nous sommes tous
unis dans un seul élan pour vaincre ce fléau, cette période de
confinement met en lumière, avec une acuité inégalée, la place, les
rôles et le traitement des femmes dans notre société. Jamais, un tel
laboratoire des rôles sociaux de sexe n’a permis de révéler aussi
clairement les différences, voire les inégalités qui régissent les
relations entre les femmes et les hommes dans notre pays et dans le
monde.
Depuis le début de cette pandémie,
pouvoirs publics et associations ont eu à cœur de lutter sans délai
contre ce premier fléau que sont les violences intrafamiliales à
l’encontre des femmes et des enfants, violences exacerbées par
l’enfermement dans ce qui est souvent le huis clos de l’enfer conjugal.
Ainsi, les interventions des forces de sécurité intérieure au domicile
pour violences conjugales ont augmenté de plus de 30% depuis le début du
confinement.
Autre sujet de vigilance très vite
mis en lumière, celui de l’accès aux droits sexuels et reproductifs et
notamment le maintien des actes d’interruption volontaire de grossesse
(IVG) dans les hôpitaux et l’élargissement de l’accès à l’IVG
médicamenteuse, même si demeure irrésolue la question du dépassement du
délai légal pour pratiquer une IVG.
Mais il est des domaines moins
directement visibles et pourtant extrêmement révélateurs de la
construction de notre modèle social : les personnes qui assurent
aujourd’hui majoritairement la survie quotidienne de notre pays en
termes de santé, en contact direct avec les malades, que ce soit les
infirmièr.es, les aides soignant.es ou le personnel assurant la
restauration ou le ménage, à l’hôpital ou dans les EPHAD, ce sont des
femmes.
Les personnes qui permettent
aujourd’hui majoritairement que l’accès aux denrées alimentaires et aux
biens de première nécessité soit possible, en tant que caissières dans
les supermarchés ou dans les magasins de détail, en contact direct avec
le public, ce sont des femmes.
Certes, nous n’oublions pas tous ceux
et celles qui assurent le contrôle du confinement, en contact direct
également avec le public, ni celles et ceux qui assurent la logistique
de cette organisation de crise, non plus que toutes celles et ceux qui
doivent continuer à assurer les fonctions vitales de notre pays. Mais,
ce qui interroge ici, c’est que les fonctions traditionnellement
regroupées sous le vocable « care », le plus souvent sous évaluées,
voire infériorisées, prises en charge par des travailleurs souvent
précaires, sont précisément celles qui contribuent à notre survie lors
de cette pandémie.
Plus encore, la mise en œuvre du
télétravail à grande échelle, des femmes et des hommes, dans leurs
espaces de vie où ils doivent prendre en compte quotidiennement non
seulement les tâches domestiques, mais, s’ils en ont, le soin des
enfants ET leur éducation, constitue un laboratoire in vivo de ce que
pourrait être un partage des tâches à parts égales entre les femmes et
les hommes. Voilà que fait irruption, dans la charge mentale des
parents, le soin éducatif, dont la difficulté croissante au fil des
jours du confinement les font regarder avec des yeux tout autres, on
peut l’espérer, une autre profession occupée majoritairement par les
femmes, « mais comment font-elles ? Je n’en ai qu’un ; elles en ont 30
», profession mal rétribuée et insuffisamment considérée, celle des
personnes qui éduquent nos enfants depuis la crèche jusqu’au lycée.
Et, dans le même temps, ce
laboratoire conjugal change-t-il les pratiques et oriente-t-il les
couples vers un partage égalitaire, ou bien conforte-t-il au contraire
les rôles sexués, faisant porter sur les femmes la majeure partie de la
charge mentale et émotionnelle, tandis que les conjoints, au métier
souvent mieux rémunéré ou jugé « plus important », se consacrent plus
facilement à leur télétravail ?
Cette crise, bien évidemment, exige
que soient délivrés prioritairement des messages de survie en termes de
santé et de lutte contre les violences et requiert un front uni contre
cette pandémie. Les femmes et les hommes sont engagés dans des efforts
au coude à coude et nous saluons ici cette mobilisation unanime et qui
force l’admiration et le respect. Mais peut-être faudra-t-il un jour se
demander pourquoi un message tout simple des pouvoirs publics
préconisant le partage 50/50 entre femmes et hommes des tâches de la
maison n’a pas trouvé place sur nos écrans ?
Peut-être aussi faudra-t-il se
demander pourquoi les médias ont reçu majoritairement des hommes sur
leurs plateaux ? Si l’on sait que les postes de responsabilité à
l’hôpital sont surtout dans la main des hommes, les médias, poursuivant
leurs efforts entrepris depuis quelques années, ne devraient-ils pas
mieux mettre en valeur les expertes sur les plateaux ou devant les
micros ? Des expertes de premier plan siègent à l’Académie des Sciences
et à celle de Médecine et de nombreuses femmes médecins ou soignantes
pourraient utilement donner leur avis sur la meilleure manière de
combattre la pandémie et être beaucoup mieux associées aux débats sur le
drame qui nous frappe.
Enfin, faut-il rappeler le caractère
révélateur des inégalités joué par le conflit ou la crise, au niveau
international et son impact disproportionné sur les femmes, comme le
montrent les questions à l’agenda « femmes, paix et sécurité » ? Faut-il
rappeler également la nécessaire implication des femmes à la sortie de
crise aujourd’hui, avec ses possibles en termes de reconstruction d’une
société plus égalitaire ? Il s’agit d’un moment clé et d’un test pour la
diplomatie féministe, dont l’un des objectifs devrait être de modifier
de manière durable les structures inégalitaires du pouvoir patriarcal.
Violences, droits sexuels et
reproductifs, place et statut des femmes dans les métiers, dans le
foyer, dans les médias, dans les organes de décision et de
reconstruction, à l’évidence, cette crise aura beaucoup de choses à nous
apprendre. C’est ce sur quoi le Haut Conseil à l’égalité entre les
femmes et les hommes sera mobilisé dans les mois à venir.