À l’occasion de l’examen ce jour à l’Assemblée Nationale de la Proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, le Haut Conseil à l’Egalité rappelle les principes fondamentaux pour protéger les femmes victimes de violences conjugales et leurs enfants. Il appelle les parlementaires à saisir cette opportunité pour développer une véritable culture de la protection à l’égard des victimes de violences conjugales.
Deux principes doivent être rappelés :
Un parent agresseur ne doit pas exercer l’autorité parentale
Le 3 septembre 2019, le Premier ministre annonçait la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale en cas de féminicide. Le Grenelle promettait là une protection effective des proches et des enfants des femmes tuées par leur conjoint ou leur ex. Un auteur de féminicide, s’il continue à exercer l’autorité parentale, peut en effet refuser que les enfants soient soignés, empêcher les personnes qui s’occupent des enfants de renouveler leurs papiers d’identité, de déménager... il a les moyens légaux de maintenir son emprise sur les enfants. Le Haut Conseil à l’Egalité a reçu des proches de victimes qui vivent cet enfermement au quotidien. Tou.te.s disent l’urgence de la situation.
La traduction législative de cette promesse ne prend pas la pleine mesure de cette urgence. La loi du 28 décembre 2019 , dont toutes les dispositions concernant l’autorité parentale et l’exercice de cette autorité ont été reprises dans la présente proposition de loi, prévoit bien une suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale, mais seulement pour 6 mois, délai dans lequel la.le juge aux affaires familiales devra rendre une décision qui confirmera ou annulera la suspension de l’exercice de l’autorité parentale. Pour garantir une protection effective aux enfants dont la mère a été tuée par le père, il est indispensable que l’exercice de l’autorité parentale soit suspendu de plein droit jusqu’à la décision de la cour d’assises. En effet, dans les cas de violences conjugales, et à plus forte raison les crimes, le délai entre l’infraction et le jugement pénal peut se compter en années. De manière générale, dans les situations de violences conjugales avérées, l’exercice de l’autorité parentale devrait être systématiquement et exclusivement confié à la victime. Pour favoriser cette mesure, la saisine de la.du juge aux affaires familiales par le parquet gagnerait à être systématisée en cas de poursuites pour violences conjugales.
Tout signalement au parquet doit déboucher sur une mise en sécurité immédiate
La présente proposition de loi s’attache à traduire une autre annonce du Grenelle, celle de la levée du secret médical en cas de violences conjugales. Le Haut Conseil à l’Egalité rappelle les deux impératifs qui doivent primer pour aménager le secret médical en cas de violences conjugales : la protection de la victime tout d’abord, la protection de la ou du professionnel.le de santé qui signale les faits ensuite. C’est une situation extrêmement dangereuse pour la victime que le déclenchement d’une procédure alors qu’elle doit retourner au domicile où l’agresseur l’attend. Le principe selon lequel tout signalement au parquet doit déboucher sur une protection immédiate pour la victime doit guider toute mesure législative aménageant le secret médical.
Les professionnel.le.s de santé, d’autre part, doivent, pour pouvoir signaler des violences au parquet, être protégé.e.s au niveau pénal (et c’est l’objet de cette proposition de loi), mais également devant leur Ordre. En outre, pour pouvoir signaler des faits de violences, encore faut-il que les professionnel.le.s sachent les détecter. Accroître les efforts de formation en direction des professionnel.le.s de santé est indispensable. À cet égard, l’engagement de la Haute Autorité de Santé peut être salué.
Des mesures sont à saluer
L’interdiction de la médiation en cas de violences conjugales : une réelle avancée
Il ne saurait y avoir de négociations ou d’entente possible lorsque l’un des conjoints exerce des violences sur l’autre. Le Haut Conseil à l’Egalité se félicite de l’interdiction de la médiation pénale et de la médiation familiale en cas de violences conjugales alléguées, qu’il ap-pelle de ses vœux de longue date et qui répond aux exigences de la Convention d’Istanbul.
La suppression de l’obligation alimentaire en cas de crime
La suppression de l’obligation alimentaire en cas de féminicide reconnaît l’injustice qui consiste, pour l’enfant dont la mère a été tuée par son conjoint, à devoir porter assistance financièrement à l’auteur du meurtre. La modification introduite par la commission des Lois le 15 janvier est également à saluer, puisqu’elle prend en compte l’ensemble des crimes, y compris les viols.
Pour pousser la logique un peu plus loin, une réflexion pourrait être menée sur le paiement des frais funéraires et de dernière maladie qui incombe aux descendant.e.s.
La reconnaissance du suicide forcé
La reconnaissance du suicide forcé est une avancée importante. Pour qu’elle soit réellement efficace, cette mesure impose la conduite systématique d’investigations en cas de suicide ou de tentative de suicide. Cette disposition pourrait être ajoutée dans la loi, ou a minima faire l’objet d’une communication en direction des services enquêteurs.
La saisie des armes dès l’enquête
La présente proposition de loi prévoit que l’officier.e de police judiciaire puisse, dès la phase d’enquête, saisir les armes de la personne suspectée de violences conjugales. Cette mesure va dans le sens de la protection des victimes et devrait être obligatoire.
La reconnaissance du cybercontrôle dans le couple
Le Haut Conseil à l’Egalité salue la reconnaissance, par les pouvoirs publics, de l’utilisation des outils numériques par les agresseurs pour pister, espionner et harceler leur conjointe.
La facilitation du recours à l’aide juridictionnelle provisoire
L’un des moyens employés par les conjoints violents pour empêcher la victime de leur échapper peut consister à l’enfermer dans une dépendance économique. Le recours à l’aide juridictionnelle est ainsi indispensable pour de nombreuses femmes victimes de violences conjugales. Tenant compte de cette réalité, le texte prévoit d’accorder l’aide juridictionnelle provisoire dans les situations qui présentent un caractère d’urgence. À des fins de clarté, pourraient être ajoutées, dans l’article de loi, les trois situations d’urgence connues en ce qui concerne les violences conjugales : comparution immédiate, ordonnance de protection, référé. Il pourrait être précisé que cette aide est accordée en urgence.
En outre, le Haut Conseil à l’Egalité tient à alerter les parlementaires sur la situation des femmes étrangères qui, aujourd’hui, ne bénéficient pas automatiquement de l’aide juridictionnelle. Il serait judicieux d’ajouter la mention des femmes étrangères dans cet article, afin qu’elles puissent également bénéficier de l’aide juridictionnelle, sous conditions de res-sources, comme c’est déjà le cas dans l’ordonnance de protection.